LA RUE DE LA CONTROVERSE
À l'heure où la Cour Administrative d'Appel de Bordeaux contraint la Ville de Biarritz à rebaptiser la «rue de la Négresse», il est nécessaire de songer à donner un nom qui pourrait rappeler aux générations futures le débat qui a eu lieu.
Dans les trois propositions que la Ville de Biarritz offre aux Biarrots, manque celle qui aurait permis de respecter la décision de justice tout en apportant un éclairage sur ce qui est tout de même une relecture - avec réécriture - de l'histoire.
Sauvegarder Biarritz soumet donc une proposition de nom de rue - dont nous savons d'ores et déjà qu'il ne sera pas retenu par la ville : la «rue de la Controverse».
L’appellation de la «rue de la Controverse» permettrait de placer les deux camps sur un pied d'égalité dans le débat. Elle offrirait aussi l'occasion de faire valoir - sur un panonceau - l'histoire de l'aubergiste noire, la désignation populaire qu'elle a inspirée chez les Biarrots d'alors, la décision d'une ville - lors d'une délibération municipale - de se l'approprier pour rendre hommage à cette femme de couleur et de lui dédier une rue, puis, bien évidemment, d'informer les passants de cette controverse suscitée par l'association bordelaise... deux siècles plus tard.
Au lieu de cela, un nom de rue sera simplement remplacé pour laisser place à un autre ; or cet effacement d'une appellation de rue sera aussi celui d'un pan du patrimoine biarrot, puisque ne subsistera aucune trace, ni exposé «officiel», concernant cette composante historique, sinon des élucubrations nourrissant des interprétations dont le temps verra une inévitable distorsion dans les faits.
Depuis le début de cette affaire, madame Arosteguy - peut-être mal à l'aise avec un sujet qu'elle ne maîtrise pas et qui n'est pas seulement à examiner au travers d'un prisme municipal mais aussi sous celui de l'étymologie, de l'histoire, du colonialisme, du sociétal - a curieusement mené son argumentation en s'arc-boutant, sans chercher à conclure un compromis avec ceux que l'on peut maintenant nommer ses adversaires : l'association «Mémoires et Partages».
D'autres voies, qui n'étaient pas judiciaires mais bien diplomatiques, auraient pu être engagées pour permettre, aussi bien au quartier qu'à la rue, de maintenir leurs appellations et en même temps d'être à l'écoute d'une émotion.
Au lieu de cela, une obstination - qui a pu être perçue comme une provocation par l'association plaignante - aura caractérisé la ligne de conduite de la maire. Si elle avait un peu plus d'expérience en sociologie, elle saurait qu'il faut parfois prendre des chemins tortueux pour atteindre son but et que la voie directe et brutale ne provoque souvent, chez son interlocuteur, que ressentiment et acharnement.
Car nous l'avons déjà dit dans nos colonnes : juger à l'aune du XXIème siècle l'histoire, des personnages, ou des mots, est à la fois ridicule et contre-productif.
Le devoir de mémoire est avant tout d'enseigner, mais est-il d'effacer ? D'ailleurs, l'effacement de l'histoire de la Négresse à Biarritz ne se pose-t-il pas en contradiction avec la mission que se sont donnée des militants bordelais ?
Enseigner par exemple ce que fut l'esclavagisme, les peuples qui s'en rendirent coupables, et les conditions de vie de ses victimes : OUI, là réside le respect du devoir de mémoire.
Il ne saurait certainement pas se traduire par un effacement de ce qui constitue une part de notre ville.
Pour autant, face aux graves accusations dont l'association accable la Ville de Biarritz - et d'une certaine manière toute la population biarrote - il était inenvisageable, qu'en 2025, une Cour donne raison à une appellation qui, selon ses termes, porterait «atteinte à la dignité humaine».
Dans un débat qui s'hystérise rapidement, aucun argument ne peut contrecarrer celui d'un supposé racisme ressenti par une fraction de la population. Il s'agit donc d'un combat perdu d'avance, si tant est que combat il y ait eu.
D'autant qu'en initiant des recherches sur l'histoire et l'étymologie de la Négresse, une boîte de Pandore a été ouverte par la municipalité, leurs conclusions remettant en question une légende populaire à laquelle les Biarrots sont attachés. À vouloir faire trop d'histoire et ouvrir trop d'hypothèses, on donne des bâtons pour se faire battre...
Pour l'heure, la ville de Biarritz a déjà perdu en première instance, et en appel - dont acte !
Ce long feuilleton au sujet de la «Négresse» n'est pas encore terminé : la maire de Biarritz a souhaité porter l'affaire au Conseil d'État - l'équivalent de la cour de Cassation mais pour l'ordre administratif.
Obstination ? Démagogie ? Tout cela n'est pas gratuit : les Biarrots devront passer à la caisse pour rémunérer les avocats. Est-ce bien raisonnable de prélever ainsi inutilement sur le budget communal ? Car la ville sait qu'elle va tout droit dans le mur puisque la maire envisage déjà de changer le nom de la rue, et a opté - grande dans les petites choses - pour une «consultation citoyenne» pour son choix.
Choisir entre trois options pour le changement juridiquement obligatoire d'une rue : en quoi cela va-t-il changer la vie des Biarrots ?
Par contre, lancer une «consultation citoyenne» pour demander aux Biarrots leur avis sur l'avenir de leur ville : OUI.
Demander aux Biarrots s'ils souhaitent la vente de la villa Sion, la villa Fal, l'Auberge de Jeunesse : OUI.
Demander aux Biarrots s'ils souhaitent une piétonnisation de la ville, s'ils souhaitent rendre payant le stationnement dans de nouveaux secteurs de la ville : OUI.
Demander aux Biarrots s'ils souhaitent un nouveau jardin dans le centre-ville ou, à la place, un hôtel : OUI.
Mais la maire de Biarritz préfère consulter les Biarrots pour des vétilles et passer outre quand il s'agit d'une décision importante, impactant l'avenir de notre ville et notre quotidien.
Pour pas cher, madame Arosteguy peut ainsi faire valoir son «écoute» et une application pratique de la consultation, de la concertation et de la participation citoyenne.
Les Biarrots, eux, préfèreraient donner leur avis sur des sujets qui ont des répercussions directs sur leur manière de vivre, de consommer, et de se distraire à Biarritz.
Un bulletin de vote aux Municipales n'est pas un chèque en blanc pour tout faire, tout dire, tout détruire.
Feuilletonner sur ce thème de la «Négresse» permet à madame Arosteguy de surfer sur la vague anti-woke qui déferle actuellement, de jouer la carte de la victime expiatoire, de capitaliser sur l'émoi que cette affaire aura suscité chez la majorité des Biarrots et emporter l'adhésion d'une très large fraction d'entre eux, tout en sachant pertinemment que le Conseil d'État déboutera la Ville de Biarritz.
Biarrots, vous nous dites que vous n'êtes pas dupes de ces manœuvres calculatrices et politiciennes. Sauvegarder Biarritz non plus.