BALEINE EN BOIS FLOTTÉS : NE PAS CONFONDRE L'ART ET LE KITSCH
Et si nous commencions par la définition du mot kitsch par le Larousse ? «Se dit d'un objet, d'un décor, d'une œuvre d'art dont le mauvais goût, voire la franche vulgarité, voulus ou non, réjouissent les uns, dégoûtent les autres.»
Nous, Biarrots, qui étions autrefois réputés pour notre chic, notre je-ne-sais-quoi de splendeur, sommes honteux de voir que nos visiteurs, qui arriveront de la Gare ou de l'aéroport en empruntant l'axe de l'avenue Kennedy, tomberont sur un amas de bois flottés que d'aimables personnes ont qualifié de baleine.
Alors, ceux-là même que des communicants auront convaincus de venir découvrir notre exceptionnel paysage, nos bigarrées architectures, notre culture basque, se trouveront d'un coup accueillis par ce qui ne peut être apparenté qu'à une blague d'étudiants ou un bricolage de maternelle.
À cet endroit de la ville - nommé le rond-point André-Dassary - se trouve une fontaine qu'un shaper (fabricant de planches de surf) Luc Rolland, bien connu des Biarrots, avait créée pour rappeler l'histoire qu'entretient notre ville avec le cétacé.
Si bien qu'aujourd'hui, l'appellation populaire du rond-point «de la Baleine» a pris le dessus sur celle du chanteur Basco-Biarrot. Ainsi va le temps.
Après avoir fait le tour du baleineau, nous avons ressorti notre encyclopédie sur les mammifères pour tenter de deviner si les faiseurs n'avaient pas voulu représenter une autre créature marine. Car y voir une baleine.. ! À en perdre b'haleine !
Dans l'incapacité de présenter une œuvre d'art réalisée par un véritable artiste au talent reconnu par ses pairs, madame Arosteguy impose à la vue de tous un ersatz, une espèce de succédané. Bref, une sorte de lot de consolation... mais qui serait plutôt désolant.
Que l'on ne nous réplique pas qu'il s'agit d'une œuvre d'art qui, par définition, est vouée à être appréciée ou pas. Non, il s'agit, comme nous l'apprend le site internet de la ville de Biarritz, d'une composition réalisée par les agents du Centre Horticole Municipal.
Si la ville était par ailleurs entretenue comme il se doit, si nos espaces verts étaient à la hauteur d'une ville impériale et d'une cité balnéaire, si les agents municipaux s'étaient vus dépourvus d'occupations, nous pourrions comprendre qu'ils aient mis leur temps différemment à profit. Mais alors que la maire Arosteguy et les élus afférents - messieurs Kayser et Courcelles - interpellés par la population qui a des yeux pour voir, laissent à l'abandon nos espaces verts : comment comprendre que des agents municipaux puissent gaspiller leur temps si précieux à cette abstraite représentation ?
Le kitsch s'exprime chez des personnes de différentes manières : un goût plus que douteux en bien des circonstances, la volonté de pasticher les Grands de ce monde, la passion des romances Harlequin et des Feux de l'Amour, une appétence pour les couvertures au crochet, ou encore une expression ampoulée qui ne trompe même pas dame pipi. C'est le contraire du racé, du chic, du raffinement, de la classe.
Le kitsch est aujourd'hui perçu par le plus grand nombre. Il illustre la culture du toc, du contrefait : à défaut d'original, on s'offre une contrefaçon au rabais.
Il est rare de voir des fautes de goût, tels que du papier peint psychédélique au mur d'une chambre, des fleurs en tissu, des napperons plastifiés en dentelle, des chiens noddeurs sur la plage arrière de la voiture, un couvre-volant en moumoute façon léopard, une horloge murale avec coucou, ou une statuette «antique» en résine dans son jardin.
Le bon goût ne s'apprend pas. Il est en nous (ou pas). Il est là, qui sommeille ; c'est une forme de transmission acquise par des siècles de Littérature, d'Arts, de Penseurs. C'est un héritage, un merveilleux cadeau qui traverse notre société, des plus humbles aux plus riches.
Ceux qui en sont dépourvus ne traversent qu'à moitié leur vie, insensibles à la complexe délicatesse d'une fleur, à la beauté de la courbure d'une sculpture ou d'une voûte de charpente. Plaignons-les.
Ne soyons donc pas surpris si nous voyons apparaître des flamands roses en plastique ou des nains de jardin au lac Mouriscot.
Non plus si nous voyons le dévoilement, sur les murs de la mairie, des canevas de mamie représentant les glaneuses de Millet ou une scène de chasse.
Non, non, c'est normal.
Mais n'a-t-on pas déjà vu, dans le hall d'accueil de la mairie, une guirlande de Noël entortillée autour d'une statuette de femme-déesse ?
Voilà à quoi ressemble la politique culturelle de mesdames Arosteguy et Pinatel !
Pourtant, il fut un temps pas si lointain où l'espace public biarrot était investi autrement que par de vulgaires et encombrantes terrasses bas de gamme, que par des trous sur la voirie, que par des panneaux JCDecaux aguicheurs et des interdits de tous poils.
En ce temps-là, une œuvre d'artiste était offerte à la contemplation de tous.
Ce temps a fait émerger des œuvres de Chillida, de Valdés, de Giraud, de Leiro, de Maillard dans l'espace public biarrot. Tout ceci mené par des élus qui, autrefois, réunissaient la connaissance et le bon goût. Mais ça, c'était avant.
Le grand Milan Kundera nous avait avertis que «Le kitsch est le vernis culturel des dictatures communistes». Pas seulement...
Rire ou pleurer, il faut choisir.