ART DECO : STYLE ARCHITECTURAL OU ARGUMENT MARKETING ?
«Construire à Biarritz ce n'est pas finalement construire n'importe où. Construire à Biarritz c'est d'abord comprendre Biarritz, c'est apprendre Biarritz, c'est vivre Biarritz. C'est comprendre son relief, son histoire, ses vents, ses toits, ses couleurs. C'est apprendre son identité, ses silences et ses saisons. C'est écouter ce que la ville dit sans le dire et ce que les habitants attendent sans toujours l'exprimer.
Alors l'architecture qui s'est imposée au fil du XXème siècle grâce à des architectes comme Henri Godbarge, les frères Gomez ou encore Cazalis Joseph n'est pas un style plaqué ou décoratif. C'est l'architecture dite néo-basque, c'est une architecture de territoire, massive et ancrée.
(…) Elle participe à un sentiment d’appartenance. Elle donne une cohérence à la ville, elle rassure, elle rassemble, elle parle à tous.(...)
Alors en conclusion, l'identité de la ville passe aussi bien par la continuité de son architecture. (…) Faisons le choix d'une architecture identitaire, pas celle de limitations mais celle de l'enracinement, pas celle du geste mais celle du lien. Une architecture à la fois humble, belle, lisible, durable. Une architecture de Biarritz, pour Biarritz.»
Ce laïus - quelque peu lyrique - récité par l'architecte luzien Miguel Montouro sur le caractère Art déco de l'architecture biarrote, et cela afin de nous persuader que le promoteur immobilier Robert Alday a le souci de préserver cette prétendue identité unique en en reprenant les codes, nous a amusés.
Tout d'abord parce que, sur le site de Miguel Montouro, nous avons retrouvé cette même phraséologie pour vanter d'autres projets, ailleurs...
Ensuite, parce que pour les besoins de la démonstration, l'architecte-maître d'oeuvre semble vouloir nous convaincre que le projet de la société Aldim obéit au vocabulaire architectural du théoricien du style néobasque qu'était Henri Godbarge, ou à celui des frères Louis et Benjamin Gomez.
Pardon, mais comment peut-on comparer le projet «Aguilera Herria»aux réalisations - notamment côtières - de ces grands maîtres, qui restent le fleuron de notre Pays Basque ?
Et si l'on peut s'enorgueillir de la sauvegarde de nombreuses villas ou bâtiments publics dessinés par ces «inventeurs» d'un style nouveau - synthèse des lignes régionalistes labourdines et de celles de l'Art déco - le chemin à parcourir pour rivaliser avec cet héritage architectural est long, si bien qu'un peu d'humilité serait de mise.
Quant à l'architecte Cazalis, par sa variété son travail ne répond pas à la même rigueur de style que l'on peut trouver chez Benjamin Gomez, Henri Godbarge, ou André Pavlovsky que l'on reconnaît à 100 mètres.
Enfin, parce qu'en matière d'architectures, à Biarritz nous ne pouvons précisément pas parler d'«identité de la ville», tant les styles y sont éclectiques.
Sur la seule avenue de l'Impératrice, la démonstration en est faite. En effet, ces constructions reflètent les influences des différentes origines et cultures de ceux qui les ont commanditées. Elles sont la marque du passage d'une population hétérogène - française ou étrangère - venue en son temps à Biarritz alors à la mode. À l'inverse d'un visage singulier - expression d'une tradition séculaire visible dans nos villages basques - ce cosmopolitisme a tout naturellement pour corollaire ce que d'aucuns qualifient de «désordre urbain». Voilà bien l'identité de Biarritz : cette bigarrure qui nous est donnée à voir :
D'un côté un Hôtel du Palais qui reprend des codes haussmanniens, tout comme l'ex Hôtel Carlton édifié par l'architecte François-Joseph Cazalis, puis l'église orthodoxe de style byzantin, suivie de la villa «Cyrano» d'apparence néo-gothique inspirée par l'architecte biarrot Gustave Huguenin. De part et d'autre de cet axe emblématique de notre cité balnéaire, notre regard croise une architecture normande, une autre Art nouveau, et même une horreur des années 60 - fort heureusement vite oubliée par la vision des villas «Resaurie» et «Trinidad».
Alors quand Monsieur Robert Alday nous décrit son projet, «d'une architecture très classique et très biarrote», cela nous paraît être un commentaire plaqué, comme semble l'être le dessin de ses immeubles dont on retrouve une criarde similitude entre les uns et les autres (voir photos).
Car, précisément, l'architecture biarrote n'est pas monocorde et s'est souvent affranchie de tout «classicisme». On ne peut dès lors pas parler d'une «architecture biarrote» mais plutôt d'un visage urbain multiforme qui en a fait une spécificité biarrote.
Néanmoins, si l'Art déco n'est pas le seul style des édifices qui bornent nos rues biarrotes, reste que le promoteur revendique vouloir s'inscrire dans cette écriture architecturale.
Mais sans vouloir offenser les porteurs et défenseurs du projet «Aguilera Herria», doit-on ici rappeler l'exigence pour l'excellence des architectes auxquels ils se réfèrent. Tous travaillaient avec des maîtres d'art : le sculpteur Lucien Danglade, les peintres Maggie Salcedo ou Ramiro Arrue, le céramiste Édouard Cazaux, des mosaïstes, l'ébéniste Louis Malagarie, les maîtres-verriers Mauméjean frères ou Jacques Gruber, des ferronniers d'art, etc...
Rien de tout cela ne figure dans ce projet où l'on nous a parlé de nombre de lots bâtis mais dont on ne nous a pas démontré l'esthétisme.
Seuls quelques signes de surface - une arche par ci par là, ou un pastiche de pergola - sont de maigres faire-valoir qui semblent nourrir une approche marchande pour soutenir la thèse développée, non sans mal, par l'architecte Miguel Montouro dont on ne reconnaît pas ici la patte, ni l'audace de certaines de ses réalisations. En revanche, le projet de Monsieur Robert Alday ressemble, lui, à ses constructions passées, et si «Aguilera Herria» voit le jour, nous doutons fort qu'il reste emblématique de la ville de Biarritz.