DÉNOMINATION «NÉGRESSE» : QUE DISENT LES ÉLUS D'OPPOSITION ? Partie 1/2
Sur le sujet du «changement de dénomination historique du quartier et de la rue de la Négresse» porté au débat lors du dernier conseil municipal, les interventions des élus de l'Opposition furent tellement fournies que nous avons choisi des passages de leurs argumentations.
Détail technique : nous dénonçons une retransmission en direct au son très dégradé pour tous les micros des élus présents, sauf lorsque la maire prend la parole. Cela est le cas depuis quelque temps lors des conseils municipaux. Il serait souhaitable que cette anomalie soit résolue pour que les personnes n'ayant pas une ouïe parfaite puissent aussi entendre ce débat républicain.
Justement, au centre des débats : il fut question d'une femme noire. Une femme-légende, une femme-mystère, une femme-symbole que chacun d'entre nous peut personnifier à sa manière.
De prime abord, nous avons cru percevoir une forme de cohésion entre Majorité et Opposition sur le fond de la question. Mais cette cohésion s'est rapidement dissipée concernant la méthode avec laquelle Madame Arosteguy a défendu la question qui a ensuite donné lieu à cette décision judiciaire irrévocable.
Ce conseil municipal a démarré par le traditionnel appel des noms pour déterminer les présents.
Quant aux absents, ils étaient au nombre de huit. Six dans la majorité - Martine Vals, Fabrice-Sébastien Bach, Mathieu Kayser, Louis Bodin, Christelle Rodet et Raphaël Leforestier - et deux dans l'opposition - Brice Morin et Lysiann Brao. Il est lassant de constater, aussi bien parmi les élus de la majorité que ceux de l'opposition, des absences répétitives quand ce ne sont des retards programmés. Les Biarrots voient et prennent des notes.
Madame Arosteguy a débité un texte écrit à l'avance par une personne qui avait à cœur de porter un message plus politique que oecuménique. La maire ne l'avait manifestement pas relu car elle n'a pas quitté son texte des yeux.
Nous vous ferons grâce de son récit que vous avez déjà, et à maintes reprises, eu l'occasion d'entendre, pour laisser place à l'opposition dont l'expression n'a pas été suffisamment mise en lumière.
Par souci d'égalité, les extraits que nous avons sélectionnés apparaîtront par ordre alphabétique de ces élus, sur deux publications consécutives.
GUILLAUME BARUCQ
L'élu Guillaume Barucq perçoit cette femme noire comme «réelle ou fantasmée» et qu'il définit comme «belle, forte, émancipée et surtout respectée» dont la «figure devenue toponyme est ainsi devenue immortelle».
Il a ensuite développé son désaccord avec l'association plaignante en plaidant que «Le vrai progrès ce n'est pas d'effacer un mot, c'est d'en expliquer le sens, le contexte et l'histoire».
Il dénonce le fait que «Des juges, étrangers à notre réalité locale ont estimé que le nom de la Négresse devait être rayé de notre histoire. C'est une ingérence inédite de la Justice dans la vie de la cité. D'abord parce que cette décision crée un terrible précédent. Cela préfigure une société où l'on ne débat plus, où l'on obéit juste aux injonctions morales du moment.».
Après un long exposé, monsieur Barucq a affirmé sa déception quant à la réaction politique de madame Arosteguy à la suite de la décision en appel : «Je suis navrée aujourd'hui de constater que vous cédez, vous cédez à la pression des censeurs qui vous ont déjà fait effacer les pêcheurs à la baleine de notre logo de la ville, qui vous font supprimer aujourd'hui le nom de ce quartier typiquement biarrot et qui, demain, vous demanderont peut-être de changer les noms de rues jugés trop basques, voire de déboulonner la vierge de son rocher sous prétexte qu'elle pourrait être perçue comme offensante à l’égard de personnes d'autres religions ou athées.».
Il proclame qu'«Effacer le nom de ce quartier c'est admettre une connotation péjorative», ce qui, à y regarder de plus près, n'est pas faux. Effacer c'est se soumettre, se soumettre c'est ne plus exister.
Et de conclure : «Cette capitulation, là je suis désolé, mais on capitule en acceptant cette décision injuste de Justice. C'est une forme d'auto-flagellation envers les Biarrots.».
La méthode de madame Arosteguy - qui sera remise en question tout au long du conseil - est contestée par monsieur Barucq : «Ce débat appelait une voie plus médiane, plus exigeante, plus humaine. Nous devrions résister et aller plus loin dans le dialogue avec les habitants, les historiens et les associations concernées en mettant notamment en place par exemple une commission extra-municipale dédiée. Ce travail aurait dû être fait bien avant d'en arriver au pied du mur devant lequel vous nous mettez.».
Plus qu'une dénomination qu'il faudrait cacher, l'élu d'opposition voit l'aubergiste comme un faire-valoir de «(...) ce quartier qui est le plus métissé humainement et socialement».
«Faisons de la Négresse non pas un nom que l'on efface mais une Marianne locale» sera un des mots de la fin de son allocution.
SÉBASTIEN CARRÈRE
L'élu d'opposition Sébastien Carrère s'est montré mesuré dans sa manière d'aborder le sujet. On le reconnaît bien là, comme dans bien d'autres sujets ayant trait à Biarritz.
Sa position était celle de quelqu'un - Biarrot de toujours - qui ne souhaite pas le changement de nom mais dont l'approche envers l'autre est, avant tout, celle de l'écoute et du respect.
Même s'«il vit mal cette décision», Sébastien Carrère se place dans la position du «légaliste» et dit «qu'il faut appliquer cette décision». Pour cet élu, la Justice a, en son âme et conscience, tranché et nous tous devons nous conformer à cette sentence.
Laissons-lui la parole : «Je pense que quand on ne comprend pas son interlocuteur, et ça a été mon cas avec le combat de l'association Mémoires et Partages, je pense qu'il faut essayer de se mettre à la place de son interlocuteur.».
L'élu revendique ce que la portée de ce nom évoque pour lui mais aussi pour tant d'autres habitants de cette ville : «Pour nous Biarrots, en particulier pour ceux qui ont grandi dans cette ville, la Négresse évoque l'enfance, la jeunesse, les grands-parents, des bons souvenirs finalement. Totalement détachés d'une dimension raciste ou péjorative.».
Monsieur Carrère se veut toutefois lucide sur l'aspect politique de la question : «En revanche, même si je ne suis pas dupe ni naïf et que je sais bien qu'il y a une dimension politique dans le combat de cette association, c'est indéniable, ce terme est vécu comme une insulte pour des personnes et je pense que c'est tout à fait réel. Donc ça il faut quand même l'avoir en tête.».
L'élu d'opposition a souhaité remettre des éléments factuels en perspective : «J'entendais ce matin le président de l'association Mémoires et Partages à la radio qui clamait qu'il s'agissait là d'une victoire totale que l'association avait obtenue.
Je ne suis pas d'accord, ce n'est pas une victoire totale. C'est une victoire juridique. Pour être totale il aurait fallu convaincre les Biarrots ou non-Biarrots du bien-fondé de ce combat que je respecte et que je peux comprendre.».
PATRICK DESTIZON
Élu de longue date dans cette assemblée, Patrick Destizon met en avant une grave erreur commise par la ville : «(...) la mairie a commis une faute en acceptant sans vérifier l’argumentaire de l’association Mémoires et Partages qui indiquait que la délibération du 22 octobre 1861 donnait le nom de «La Négresse» au quartier. Dès le premier jugement du 21 décembre 2023, il eut fallu s’enquérir de rechercher cette délibération afin de voir précisément ce qu’elle disait. Si cela avait été fait, vous vous seriez aperçue que cette délibération ne concernait pas la dénomination d’un quartier qu’elle ne faisait que mentionner et vous auriez pu infléchir la décision du tribunal pour une des deux délibérations. La demande en rectification d’erreur matérielle introduite après le jugement de la cour d’appel administrative était beaucoup trop tardive et la réponse de la cour du 17 avril rappelle à bon escient que ce point aurait dû être soulevé durant les débats, ce qui n’a jamais été le cas. Il s’agit là d’une négligence impardonnable de la part de la ville qui va maintenant nous obliger à nous pourvoir en conseil d’état.».
Et de poursuivre avec un argument qui n'est pas à négliger : «Enfin si je puis comprendre que nous sommes ce soir dans l’obligation d’abroger la délibération du 1er juillet 1986 pour la rue, je ne vois pas quelle obligation nous aurions d’abroger celle du 22 octobre 1861 dans la mesure où celle-ci ne concerne pas le motif retenu par la cour pour justifier son abrogation. En effet, cette délibération concerne l’aménagement d’un chemin sur les bords du lac de La Négresse, aujourd’hui le lac Mouriscot, et un legs de 6500 francs or de l’Empereur Napoléon III à cette fin. Il est à noter que ce legs n’est pas un don privé de l’empereur mais bien une donation de l’État comme le prouve le fait que ces fonds aient transité par le Préfet. Or il existe une continuité des actes de l’État malgré les changements de régime afin d’éviter le chaos administratif et judiciaire qui se produirait si un nouveau régime remettait en cause toutes les décisions prises par l’ancien. L’abrogation de cette délibération signifiant un refus de la commune d’accepter ce legs, l’État pourrait être en droit de nous demander le remboursement des 6500 francs or. Pour mémoire la valeur d’un Napoléon de 20 francs or de 1861 est aujourd’hui de l’ordre de 680 € et sur cette seule base 6500 francs or de 1861 valent de nos jours environ 220 000 € et cela sans même tenir compte de l'évolution du niveau général des prix. Est-ce juridiquement possible ? L’État le fera-t-il ? Voilà un intéressant débat pour les juristes que je me garderai bien de trancher mais qui est une épée de Damoclès supplémentaire qui plane au-dessus de nos têtes.».
Ce qui précède nous fait comprendre dans quelle amateurisme ce dossier a été traité et cela sur plusieurs niveaux...
Rendez-vous demain pour entendre les arguments des conseillers municipaux d'opposition Jean-Baptiste Dussaussois-Larralde et Corine Martineau.